L'ERREUR D'ALEXIS ALEXEIEV - A. POLEISCHUK

Alexeï Alexeïev vient à peine d'annoncer à l'un de ses amis une découverte qui selon lui va révolutionner le domaine de la physique, que son laboratoire est l'objet d'une inexplicable explosion. Le chercheur et toute son équipe se retrouvent prisonniers d'une masse translucide et incassable, à l'instar d'un bloc de glace. A peu de temps de là, un mirage céleste apparaît à heure fixe en divers points de la planète. Les scientifiques chargés de faire la lumière sur les causes du sinistre vont très vite soupçonner un lien de causalité entre les deux évènements. Mais leurs hypothèses les plus folles seront encore en-deçà de la réalité.

Ce roman est un curieux exemple "d'enquête scientifique". J'entends par là une enquête menée par des chercheurs (physiciens, météorologues, astronomes...) qui unissent leurs efforts pour déterminer la nature d'un curieux phénomène stellaire ainsi que le contenu des recherches auxquelles se livrait l'un des leurs. Par le biais d'observations, d'expérimentations, en interrogeant divers témoins ou en consultant notes et correspondance d'Alexeïev, ils essayent de remonter le fil de ses expériences et d'en appréhender toutes les conséquences. A première vue, cela peut paraître un peu aride et j'avoue m'être senti un peu perdu au milieu des champs gravitationnels et autres rayonnements électromagnétique. Mais, grâce à beaucoup de vulgarisation et quelques scènes plus légères, l'auteur parvient à rendre accessibles les discussions de toutes ces grosses têtes. Qui plus est, il réussit à maintenir le suspense jusqu'à une chute qui doit beaucoup à Einstein et sa théorie de la relativité.

J'ai également été amusé de voir évoluer les personnages dans cette URSS qui n'existe plus, mais où il faisait apparemment bon vivre. Les paysans y sont heureux, le directeur du kolkhoze local est incroyablement serviable et même les rapports avec les affreux impérialistes américains sont on ne peut plus cordiaux. Mais Poleischuk pouvait -il écrire le contraire en 1963 ? Rien de moins sûr et les réflexions du professeur Topanov, très « soviétiquement correctes », en sont la preuve : "Ce que je crois, camarade, ce que je crois, ami, c'est que l'avenir de l'homme n'a pas plus de limites que le cosmos lui-même. Je crois que tout est Vie, que tout est résurrection. Voilà la vraie découverte d'Alexeï et en quoi résidera son authentique gloire. Grâce à lui, désormais, tout espoir raisonné peut-être certitude." Voilà qui témoigne d'une confiance absolue en l'être humain. Le triomphe de la raison sur la croyance, de la science sur l'obscurantisme. Tchernobyl n'était pas encore passé par là !

Gallimard - Le Rayon Fantastique - 1963

LE CANTIQUE DE L'APOCALYPSE JOYEUSE - ARTO PAASILINNA

Pour respecter les dernières volontés de son grand-père, Eemeli Toropainen entreprend l’édification d’une église dans le grand nord finlandais. Une fois le bâtiment construit, il décide de s’installer à proximité, bientôt rejoint par des écolos en rupture de ban, des ouvriers au chômage et quelques autres hurluberlus. Une petite communauté à tôt fait de se constituer puis de prospérer et se révélera finalement mieux armée que bien des états quand il s’agira d’affronter les périls du nouveau millénaire.

 On pourrait classer la plupart des romans d’Arto Paasilinna dans deux genres littéraires :

- les « road books » qui mettent en scène les tribulations chaotiques d’un ou plusieurs personnages à travers la Finlande et l’Europe : « Le lièvre de Vatanen », « La cavale du géomètre », « Petits suicides entre amis »…

- les « robinsonnades » décrivant l’existence d’une communauté en marge de la société : « Prisonniers du paradis », « La forêt des renards pendus », « le potager des malfaiteurs ayant échappés à la pendaison »...


Dans les deux cas il s’agit pour l’auteur de mettre en scène des personnages au caractère entier, anticonformistes, individualistes et refusant le carcan que leur impose la société. Le présent roman ne fait pas exception à la règle. Nous y trouvons des personnages truculents, bien décidés à conserver leur mode de vie et leur joie de vivre malgré les soucis que leur cause l’état finlandais, les institutions européennes et les évènements dramatiques de cette fin de XXème siècle. L’auteur y décline tous les thèmes qui lui sont chers : un certain retour à la nature, mère nourricière et source de toute vie, le bon sens paysan opposé à l’absurdité des règles administratives et bien sûr la liberté. Liberté d’entreprendre, liberté d’aimer, de croire, de boire…


A première vue, tout cela n’a que peu de choses à voir avec la Science-Fiction. Et pourtant je n’hésite pas à classer ce roman dans le courant post-apocalyptique. Pourquoi ? Parce que la plupart des sujets inhérents à ce courant de la SF y sont présents, que ce soit dans les causes de la catastrophe (crise économique globale, incident nucléaire, 3ème guerre mondiale) que dans ses conséquences (effondrements des gouvernements, repli communautaire, lutte pour la survie…).


Bien sûr, l’apocalypse selon Paasilinna est une apocalypse joyeuse (c’est écrit dans le titre), pleine de finlandais rougeauds et hilares, adeptes de sauna et de bonne chère, et l’amateur de SF classique n’y trouvera sans doute pas son compte. Peut-être reprochera-t-il aussi à ce roman son manque d’intensité dramatique ou bien l’absence d’une réelle intrigue. Mais tout cela n’est pas bien grave tant l’humour et la bonne humeur de Paasilinna sont communicatifs. Une lecture à conseiller donc, pour chasser la morosité et découvrir que post apo ne rime pas forcément avec désolation, désespoir et violence.


Denoël - Et d'ailleurs - 2008

GARBAGE RAMPAGE - JULIAN C. HELLBROOKE

Dans le quartier du Bronx, de nombreux cadavres sont retrouvés à moitié dévorés. Bêtes sauvages, anthropophages, les rumeurs vont bon train d'autant qu'on signale également la disparition de plusieurs femmes dans le même secteur. La détective Farley, jeune afro-amérocaine ambitieuse, est chargée de l'affaire...

"Garbage Rampage " est un hommage non dissimulé à la célèbre trilogie des rats de James Herbert. Comme son illustre prédécesseur, Julian C. Hellbrooke met en scène des rats plus gros et plus intelligents que la moyenne qui s'attaquent aux humains. On se rend toutefois très vite compte que plus de quarante ans séparent les deux romans. Si celui du britannique peut encore faire frémir, celui de Julian justifie largement sa présence dans la collection trash.  Il faut dire que ses rats sont particulièrement coriaces puisqu'à moitié humains et qu'ils ne se contentent pas de bouffer leurs presque congénères. Ils kidnappent également des jeunes femmes afin de les engrosser et créer ainsi une race de mutants.

Tout cela donne lieu à des scènes finalement plus écoeurantes que véritablement effrayantes et le fait que l'essentiel du récit se déroule dans les endroits les plus dégueus de la Grosse Pomme (égouts, caves, souterrains...) ajoute encore à cette ambiance sale et visqueuse.

Côté intrigue, l'auteur n'a pas fait de gros efforts pour expliquer le pourquoi et le comment de ces rats transgéniques. Il se contente d'évoquer pêle-mêle des recherches militaires interdites et les magouilles de l'industrie agro-alimentaire sans chercher à approfondir son sujet. Même légèreté côté personnages en dépit d'un duo de flics - la bombasse métissée et le macho raciste - plutôt explosif.

Trask 2014


ACHETEZ DIEU ! - CHRISTOPHER STORK

Don Love, jeune illuminé doté d’un charisme hors normes, est exploité par un publicitaire sans scrupules. Un richissime homme d’affaires voyant en eux le moyen d’accroître sa fortune et sa puissance, décide de s’attacher leurs services. Il tentera, avec l’aide d’un spécialiste du comportement et grâce à la télévision, de soumettre hommes et femmes au pouvoir d’une nouvelle secte.

Petit roman sans prétention sur les thèmes des manipulations mentales et du risque sectaire. Le rythme est enlevé, le déroulement de l’intrigue bien maîtrisé et les personnages plaisants bien qu’un peu caricaturaux (je pense en particulier au directeur de journal).


Bien sûr, on a un peu de mal à croire que quelques messages subliminaux et des séances d’hypnose soient suffisants pour infléchir la volonté de dizaines de milliers d’individus, mais la démonstration demeure sympathique.


A lire donc, ne serait-ce que pour se convaincre, s’il en était besoin, que religion et télévision sont bien les opiums du peuple.


Fleuve Noir Anticipation - 1979

UNE VIE DE SAINT - CHRISTOPHE SIEBERT

Mertvecgorod, séquence 7. Aussi pugnace et précis qu’une araignée tissant sa toile, le bonhomme Siébert poursuit ce qui s’apparente de plus en plus à une immense fresque avec ce volume qui, après des romans plus intimistes (Valentina, Vive le feu) renoue avec une manière de faire plus transverse. Sur près de 500 pages réunissant des textes aussi divers qu’une biographie officieuse, un roman, une confession, il retrace l’histoire de Nikolaï le Svatoj, laquelle se confond avec celle de la triste république de Mertvecgorod, la RIM pour les intimes.


Des années soixante-dix jusqu’à nos jours et même un peu plus loin, nous suivons donc l’ascension et la chute d’un personnage ambigu, gourou, apparatchik, « Messie des crevards », terroriste. Nous le suivons dans sa quête de pureté alors qu’il célèbre la « Belle Dame » dans une URSS sur le déclin. Nous le voyons se brûler les ailes aux flammes de la réussite sociale et de l’argent facile. Nous l’accompagnons dans sa quête de rachat au service des exclus et entrevoyons les raisons qui le pousseront à perpétrer l’attentat le plus meurtrier de l’histoire de la petite république. Une vie racontée de bien des façons et par bien des personnages, les différents points de vue et les différents supports éclairant tous les aspects d’une personnalité complexe qui hésite sans cesse entre volupté et mysticisme.


A propos de mysticisme justement, j’ai beaucoup aimé cette façon de nous montrer les dernières années de l’URSS et l’avènement des oligarques et autres mafieux sous un angle ésotérique qui m’a rappelé ce que Viktor Pelevine avait fait pour les années Eltsine avec « Les nombres ». Mais si le russe avait opté pour les arcanes de la numérologie, Christophe a préféré un fantastique à l’ancienne en convoquant à la fois les Grands Anciens de Lovecraft et le Golem de la tradition yiddish. L’exercice est intéressant. Il apporte au récit une dimension encore plus sombre et inquiétante tout en constituant une fort jolie allégorie sur la part d’ombre qui entoure richesse et pouvoir. Car oui, l’argent corrompt tout et tous. Pas seulement les plus avides ou les plus pourris, les politiques prêts à tout pour rester aux commandes ou les malfrats qui cherchent à étendre leur empire. Il gangrène aussi les purs, les idéalistes, les révolutionnaires, les croyants de toute obédience, tous, même ceux qui ont connu la dèche et la crasse, même les plus démunis, même les saints.


S’il nous montre jusqu’à la nausée les frasques les plus immondes des gagnants du système, Christophe Siebert n’oublie pas les perdants. Une foule de personnages secondaires traversent son récit et viennent témoigner de leurs conditions de vie atrocement dégradées. Il nous fait ainsi mesurer à quel point est insupportable ce gouffre qui sépare cette majorité misérable et silencieuse de la caste des privilégiés. Car si l’extrême richesse n’avait d’autre réalité que son obscène démesure et son gâchis insensé de ressources et de biens, l’on pourrait peut-être encore s’en accommoder. Hélas, elle a pour exact corollaire une pauvreté tout aussi extrême. Combien de dizaines, de centaines de milliers de miséreux jetés sur le pavé pour financer un yacht, un jet privé, une partouze à Dubaï ? Combien de travailleurs pauvres, de chômeurs, de SDF pour un Bernard Arnault ou un Bolloré un Zoubarev ou un Doubinski ? L’incommensurable richesse de quelques-uns n’existe que grâce à la pauvreté du plus grand nombre et Christophe nous le rappelle brutalement.


J’ai lu ici ou là que l’on comparait Mertvecgorod aux Rougon-Macquart. La comparaison est sans doute un peu osée. Quoique. Si Zola explorait la vie sociale de la France sous le second empire, Christophe se livre à peu de choses près au même exercice avec sa république post soviétique à laquelle notre monde ressemble chaque jour davantage. Et finalement, c’est bien de nous-même qu’il nous parle, de notre présent pas forcément très rose et de notre futur assurément bien gris. Il place juste le curseur un cran plus haut, avec davantage de violence, de corruption, de misère que ce que l’on connait déjà. Mertvecgorod, c’est le miroir légèrement déformé de nos démocraties occidentales.


Au Diavble Vauvert - 2025

LES FORCEURS DE BLOCUS - JULES VERNE

Etranglés par les troupes de l'union, les États confédérés sont prêts à vendre à vil prix leurs stocks de coton en échange d'armes et de munitions. Le jeune et fougueux James Playfair parvient à convaincre son oncle, un riche négociant de Glasgow, de l'intérêt de commercer avec eux et obtient ainsi le commandement d'un steamer. Accompagné d'un équipage expérimenté le voici donc fermement décidé à faire fortune en déjouant la surveillance des navires nordistes. Mais deux passagers de dernière minute vont venir lui compliquer la tâche...

« Les forceurs de blocus » est une novella assez méconnue dont on se demande si elle a réellement sa place parmi les "voyages extraordinaires". On n'y rencontre pas de savant visionnaire ni de maître du monde, pas d'invention révolutionnaire, pas de contrées sauvages ou de terres inexplorées. En fait, n'était son intrigue au demeurant bien mince, cette petite centaine de pages tiendrait presque davantage du reportage que du roman puisqu'il y est surtout question de l'un des épisodes clé de la guerre de sécession : le siège de Charleston. 

Jules Verne a montré plus d'une fois son intérêt pour ce conflit qui ensanglanta les États-Unis. Il y fit allusion à plusieurs reprises (L'île mystérieuse) et lui consacra même un roman au titre on ne peut plus explicite : "Nord contre Sud". Ici, il joue quasiment les journalistes en nous exposant de quelle manière les troupes de l'union firent le blocus de la ville de Charleston. Sa relation s'avère d'ailleurs très précise et riche de toutes sortes de détails (le nom des forts, l'emplacement des batteries de canons) et nous rappelle que Jules Verne était contemporain des faits.

Ceci étant dit, il faut bien admettre que ce roman est tout à fait mineur dans l'œuvre de l'auteur. Ainsi que je l'ai déjà dit, l'intrigue y est ramenée à sa plus simple expression : un allez-retour Glagow/Charleston émaillée de quelques combats et poursuites navales et d'une évasion à peine décrite. Le tout est romanesque à souhait (ah la courageuse enfant partie sauver son pauvre papa, oh le brave capitaine prêt à risquer sa vie pour les beaux yeux de sa dulcinée !) et comporte quelques traces d'humour dues aux facéties de Crockston et au sens du commerce de Vincent Playfair ! Alors, pour la petite heure de lecture qu'il vous en coûtera, laissez-vous tout de même tenter !

Glénat - Marginalia - 1978

PETIT-LOUIS - EUGENE DABIT

De nos jours, Eugène Dabit est à peu près inconnu. Il est pourtant l’auteur d’un roman dont l’adaptation cinématographique par Marcel Carné est encore dans les mémoires ne serait-ce que pour la prestation d’Arletty et sa gueule d’atmosphère. Ce roman c’est « Hôtel du nord », son premier livre édité. « Petit-Louis » est le second. Si les deux mettent en scène le petit peuple de Paris, ouvriers, concierges mal embouchées, femmes entretenues, employés de tout poil et de tous états, « Petit-Louis » est avant tout un roman d’apprentissage. Mais un roman d'apprentissage un peu particulier puisqu'il se déroule pendant la première guerre mondiale. 

Nous suivons donc le jeune Louis âgé de 15 ans au début du roman, dans sa découverte des choses de la vie : travail, amitié, amour... Une initiation forcément biaisée par les évènements. Ses débuts dans le monde du travail se feront ainsi dans une entreprise vidée de tous les hommes en âge de se battre, ses premiers vrais amis seront ses compagnons de régiment et il découvrira les choses de l’amour dans un bordel de campagne. Il n'en aura pas moins l'occasion de se faire une idée assez juste du monde et de la société. Il s'éveillera à l’art et à la spiritualité, éprouvera ses premiers émois sentimentaux dans les bras d'une jolie prostituée et prendra conscience que, jusque dans les tranchées, les classes sociales et les différences de traitement qu'elles induisent continuent d'exister. La guerre bouleverse beaucoup de choses mais les inégalités demeurent. 

Si la question sociale semble importante pour Eugene Dabit, il ne se livre en revanche à aucune véritable attaque contre la guerre et ses conséquences. On sent bien dans son propos qu’il n’est pas de ceux qui exalte les vertus guerrières, mais on ne trouvera dans son roman aucune critique directe des politiques ou des militaires. Il nous fait juste entrevoir les horreurs de la guerre et les vies brisées, rien de plus : « Je lave doucement son visage, sa poitrine, ses bras qui sont d’affreux moignons. J’enveloppe son corps dans ma toile de tente et je me détourne pour ne plus voir cette chose raide, inhumaine, qui fut sensible, qui fut belle ».

Même s'il n'est pas présenté comme tel, "Petit-Louis" est un roman autobiographique ou du moins fortement inspiré de l’expérience de l'auteur. Cela explique peut-être son côté journal intime, avec ses menus faits et ses impressions jetés sur le papier, sans trop s'occuper de style. Cela donne un témoignage de première main sur la vie pendant la guerre, à Paris, en province, à l’arrière et pas seulement sur la ligne de front.

Gallimard - L'imaginaire - 1988

LA PLANETE AUX VENTS DE FOLIE - MARION ZIMMER BRADLEY

Un vaisseau terrien en partance pour une lointaine colonie est dérouté par un orage gravitationnel et contraint de se poser en catastrophe sur une planète inconnue. Alors que les survivants hésitent sur l'ordre des priorités (réparer au plus vite le vaisseau ou se préparer à passer un hiver sur place), de singuliers événements se font jour. A chaque période sèche, des vents porteurs de pollens balayent la planète et provoquent chez tous les êtres vivants des troubles de la personnalité. La petite communauté parviendra-t-elle à surmonter ces difficultés et s'adapter à cet étrange environnement ? 

J'avais jusqu'à présent soigneusement évité les livres de cet auteur que j'associai uniquement à son cycle de fantasy arthurienne, genre où il est bien difficile de faire du neuf. C'est donc par le plus grand des hasards que je suis tombé sur ce bouquin dont la quatrième de couverture annonçait une histoire de " naufragés de l'espace ". Etant friand de ce type de récit, je me suis dépêché de l'acheter puis de le lire. Je n'ai pas été déçu. 


Les fondamentaux de la robinsonnade y sont en effet bien présents et joliment mis en scène : 
-    le choc de l'arrivée et les premières explorations d'un nouvel environnement ; 
-    les confrontations d'individualités, les différentes visions de l'avenir, notamment entre ceux qui misent sur une possible réparation du vaisseau spatial et les tenants d'une installation définitive sur cette planète ; 
-    les prémisses d'une organisation politique, la distribution des tâches, les assemblées… ; 
-    la détermination des priorités : nourriture, vêtements, petits artisanat ; 
-    les projections, la construction d’un futur commun (démographie).

Mais, aux déboires déjà nombreux de nos infortunés robinsons, il faut ajouter ces fameux vents de folie qui donnent leur nom au roman et lui apportent une petite touche d'originalité. Car la folie collective qui s'empare de la petite communauté et provoque selon les cas, hallucinations ou pouvoirs extra sensoriels, pulsion sexuelle ou délire morbide, complique sérieusement leur tâche et met en péril leur survie même. 

Au-delà de l'exploration de ces thèmes classiques, Marion Zimmer Bradley nous propose aussi de très beaux portraits dont ceux du Capitaine Leicester et de Camilla Del Rey figurent parmi les plus émouvants. Scientifiques de haut niveau, habitués à voyager d'une étoile à une autre, ils n'avaient pas prévu de s'installer à demeure sur une planète. Désormais cloués au sol, sans autre avenir qu'une existence austère et presque primitive, leur désarroi est immense. Miné par le sentiment de leur inutilité, regimbant face à leurs nouvelles obligations (enfanter pour Camilla), les réflexions qui les animent et leurs tentatives pour trouver un sens nouveau à leur vie donnent à ce livre quelques une de ses plus belles pages.

Ce roman comporte enfin une jolie réflexion sur la place de l'homme dans son environnement naturel et constitue même une petite leçon d'écologie. L'idée de ne pas imposer à une planète la technologie mise au point sur un autre monde afin de ne pas violer ses "rouages intimes" est séduisante, tout comme la volonté de laisser faire le temps et d'accepter d'évoluer en fonction des caprices de la planète. 

Je conseille donc vigoureusement la lecture de ce livre y compris à ceux que la fantasy rebute. Il s'agit ici de SF pure même si la Bradley y pose les bases de son célèbre cycle de "Ténébreuse" dans lequel on devine que les pouvoirs psy remplaceront la magie...

Albin Michel - Super Fiction - 1977

LE MONDE AVEUGLE - DANIEL GALOUYE

Jared Fenton est le fils du Premier Survivant, chef de l'un des deux clans qui se partagent l'immense réseau de cavernes constituant tout leur univers. Un univers plongé dans une obscurité permanente et où tous ont appris à évoluer en se passant de la vue. Doté d'un esprit curieux, il espère trouver un jour la lumière dont parlent les légendes de son peuple. Mais ses recherches sont mal vues (ou plutôt mal entendues !) de la petite communauté déjà confrontées à bien des menaces. Les sources d'eau chaude nécessaires à leurs cultures se tarissent en effet les unes après les autres tandis que les Ziveurs, ces déviants dotés d'une vision infra rouge, multiplient les razzias dans leurs cavernes. Et comme si cela n'était pas suffisant, des êtres étranges semblent hanter leur monde souterrain. 

Cela faisait longtemps que je n'avais lu un roman de SF aussi complet, avec des personnages au caractère fouillé, un univers cohérent et une intrigue simple et bien menée. C'est donc avec beaucoup de plaisir que j'ai suivi les aventures de Jared à la recherche de la lumière. Ses doutes sur le bien-fondé de sa quête, ses premiers émois amoureux, son sens du devoir et son dévouement envers sa communauté en font un héros particulièrement attachant. Les autres personnages ne sont pas en reste et la jeune Della qui souffre de sa différence, les rivaux malintentionnés, les religieux dogmatiques et les chefs pragmatiques apportent au récit une jolie palette d'individualités. 


L'univers souterrain où tout ce petit monde évolue bénéficie lui aussi d'une description minutieuse et les nombreux détails qui parsèment le récit (politique, agriculture, mythologie) contribuent à le rendre encore plus convaincant. Quant à l'intrigue, mélange de roman d'apprentissage, de quête et de post-apo, elle est suffisamment dense pour nous tenir en haleine jusqu'à une chute qui se devine certes dès le début du livre mais qui est malgré tout fort bien amenée. 


Mais le plus intéressant est sans conteste la façon dont l'auteur a su restituer les sensations de ces hommes et femmes évoluant dans une obscurité totale et permanente. Privés de la vue depuis plusieurs générations, ils ignorent à quoi ressemble la lumière et ont dû s'adapter en utilisant leurs autres sens : le toucher, l'odorat et surtout l'ouïe. Pour mettre en scène le résultat de cette adaptation Daniel Galouye fait preuve d'une belle imagination. Les "pierres à échos" qui permettent de projeter des ondes sonores sur les parois et les objets afin de "visualiser" son environnement (à l'instar du sonar des chauves-souris) en sont un bon exemple. Plus étonnante encore est l'influence que cette primauté de l'ouïe sur les autres sens a eu sur le langage. Tous les mots ou expressions associés à la vue ont été bannis du vocabulaire ; le verbe "entendre" a totalement remplacé le verbe "voir" (on dira donc "audiblement" plutôt que "visiblement") et des mots désormais privés de signification comme "jour" ou "nuit" ont disparus au profit d'autres termes ("période" plutôt que "jour", "mi-sommeil" au lieu de "minuit"). 

Quelques mots encore au sujet de la religion de ce peuple qui trouve son fondement dans le cataclysme nucléaire survenu quelques générations plus tôt. Les références à la catastrophe y sont nombreuses et fort drôles, tels les noms des démons (Cobalt et son jumeau Strontium) ainsi que la Sainte Ampoule qui n'a pas grand-chose à voir avec celle de la cathédrale de Reims ! 

Remarquablement écrit, " Le monde aveugle " constitue à mon sens un exemple de SF intelligente et très abordable, ainsi qu'un bel exercice de style.


Denoël - Présence du Futur - 1981

LES MEMOIRES DE ZEUS - MAURICE DRUON

Après deux longs millénaires de silence, Zeus s’adresse de nouveau aux humains et leur conte l’histoire de sa vie tumultueuse.

 Lorsque l’on entame un livre sur la mythologie grecque rédigé par un membre éminent de l’académie française, on s’attend généralement à découvrir un ouvrage d’érudit, excellemment écrit mais un rien ennuyeux. Et bien ce n’est absolument pas le cas et si l’écriture est élégante, le vocabulaire riche et les tournures choisies, la lecture de ce livre n’est à aucun moment rébarbative.


Et pourtant le pari était loin d’être gagné, car Maurice Druon s’est attaché à nous raconter les hauts faits des dieux grecs en respectant la chronologie de leur histoire alors que les grands anciens, Platon, Aristote et consorts, n’en faisaient aucun cas. Mieux, il a réussi à conférer à ces vieux mythes un aspect moderne en parvenant à trouver des points de convergence avec notre époque et en glissant, ici et là, des exemples et des commentaires souvent très intéressants et toujours amusants.


Bref, un fantastique bouquin qui nous permet de nous y retrouver dans cette pléthore de dieux, déesses, naïades, parques et autres divinités, de connaître leurs fonctions au sein de l’olympe et de découvrir leurs histoires de cœur et leurs rivalités. Une lecture à conseiller donc, et qui vous rappellera vos cours d’histoire ou d’initiation au grec de collège.


Bragelonne - 2007

LES CULBUTEURS DE L'ENFER - ROGER ZELAZNY

A l'issu des "Trois jours" pendant lesquels l'apocalypse nucléaire s'est déchaînée sur la planète, les États-Unis ont ...