Jared Fenton est le fils du Premier Survivant, chef de l'un des deux clans qui se partagent l'immense réseau de cavernes constituant tout leur univers. Un univers plongé dans une obscurité permanente et où tous ont appris à évoluer en se passant de la vue. Doté d'un esprit curieux, il espère trouver un jour la lumière dont parlent les légendes de son peuple. Mais ses recherches sont mal vues (ou plutôt mal entendues !) de la petite communauté déjà confrontées à bien des menaces. Les sources d'eau chaude nécessaires à leurs cultures se tarissent en effet les unes après les autres tandis que les Ziveurs, ces déviants dotés d'une vision infra rouge, multiplient les razzias dans leurs cavernes. Et comme si cela n'était pas suffisant, des êtres étranges semblent hanter leur monde souterrain.
Cela faisait longtemps que je n'avais lu un roman de SF aussi complet, avec des personnages au caractère fouillé, un univers cohérent et une intrigue simple et bien menée. C'est donc avec beaucoup de plaisir que j'ai suivi les aventures de Jared à la recherche de la lumière. Ses doutes sur le bien-fondé de sa quête, ses premiers émois amoureux, son sens du devoir et son dévouement envers sa communauté en font un héros particulièrement attachant. Les autres personnages ne sont pas en reste et la jeune Della qui souffre de sa différence, les rivaux malintentionnés, les religieux dogmatiques et les chefs pragmatiques apportent au récit une jolie palette d'individualités.
L'univers souterrain où tout ce petit monde évolue bénéficie lui aussi d'une description minutieuse et les nombreux détails qui parsèment le récit (politique, agriculture, mythologie) contribuent à le rendre encore plus convaincant. Quant à l'intrigue, mélange de roman d'apprentissage, de quête et de post-apo, elle est suffisamment dense pour nous tenir en haleine jusqu'à une chute qui se devine certes dès le début du livre mais qui est malgré tout fort bien amenée.
Mais le plus intéressant est sans conteste la façon dont l'auteur a su restituer les sensations de ces hommes et femmes évoluant dans une obscurité totale et permanente. Privés de la vue depuis plusieurs générations, ils ignorent à quoi ressemble la lumière et ont dû s'adapter en utilisant leurs autres sens : le toucher, l'odorat et surtout l'ouïe. Pour mettre en scène le résultat de cette adaptation Daniel Galouye fait preuve d'une belle imagination. Les "pierres à échos" qui permettent de projeter des ondes sonores sur les parois et les objets afin de "visualiser" son environnement (à l'instar du sonar des chauves-souris) en sont un bon exemple. Plus étonnante encore est l'influence que cette primauté de l'ouïe sur les autres sens a eu sur le langage. Tous les mots ou expressions associés à la vue ont été bannis du vocabulaire ; le verbe "entendre" a totalement remplacé le verbe "voir" (on dira donc "audiblement" plutôt que "visiblement") et des mots désormais privés de signification comme "jour" ou "nuit" ont disparus au profit d'autres termes ("période" plutôt que "jour", "mi-sommeil" au lieu de "minuit").
Quelques mots encore au sujet de la religion de ce peuple qui trouve son fondement dans le cataclysme nucléaire survenu quelques générations plus tôt. Les références à la catastrophe y sont nombreuses et fort drôles, tels les noms des démons (Cobalt et son jumeau Strontium) ainsi que la Sainte Ampoule qui n'a pas grand-chose à voir avec celle de la cathédrale de Reims !
Remarquablement écrit, " Le monde aveugle " constitue à mon sens un exemple de SF intelligente et très abordable, ainsi qu'un bel exercice de style.
Denoël - Présence du Futur - 1981
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