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MORWENNA - JO WALTON

Cela fait déjà quelques années que Jo walton s’est fait une place de premier choix dans le petit monde de la SFFF avec des romans originaux qui apportent une petite touche de nouveauté aux différents genres de cette littérature dite populaire. Pourtant, celui qui lui a apporté notoriété et consécration avec rien moins qu’un Hugo et un Nébula n’a finalement pas grand-chose à voir avec lesdits genres. Dans « Morwenna », la SF n’est en effet présente que par le biais des lectures de l’héroïne et de ses discussions avec son père et ses amis. Quant au fantastique et à la fantasy, ils ne sont là que pour mieux illustrer ses sentiments, comme une sorte de métaphore du combat qu’elle livre contre les coups durs du destin et contre elle-même.

C’est que la vie de Morwenna n’est pas des plus roses. Sa sœur jumelle est décédée dans des circonstances tragiques, sa mère a sombré dans la folie et elle a dû quitter ses Galles natales pour une sinistre pension anglaise. Au travers de son journal intime dans lequel elle consigne jour après jour les grands et les petits évènements de son existence, nous découvrons donc une ado de 15 ans qui tente du mieux qu’elle peut de faire front. Pour résister à la solitude, au déracinement et au manque d’affection, Morwenna se réfugie dans deux univers où son imagination trouve à s’exprimer.


La lecture tout d’abord et pas n’importe laquelle puisque ses goûts la portent presque exclusivement vers la Science-Fiction. Les amateurs du genre seront donc en terrain de connaissance et retrouveront sans doute un peu d’eux même dans l’enthousiasme avec lequel la jeune héroïne découvre les œuvres d’Ursula Le Guinn, de Samuel Delany, de Philip K. Dick et bien d’autres encore. Ses échanges avec son père ou les membres de son club de lecture apportent d’ailleurs des éclairages assez intéressants sur certaines des œuvres évoquées et donnent au lecteur quelques pistes fort sympathiques.


Le second univers dans lequel Morwenna se réfugie est la magie. Une magie dont on a d’abord la tentation de croire qu’elle existe réellement. Il nous semble en effet que la petite héroïne est bel et bien dotée de pouvoirs magiques dont elle use pour faire obstacle aux sombres visées de son abominable mère. Mais, au fur et à mesure que nous faisons sa connaissance et que nous décryptons ses réactions et ses commentaires, on se rend compte qu’il ne s’agit que d’une illusion, d’un moyen qu’elle a trouvé pour échapper à un quotidien qui l’oppresse. Si Morwenna invoque l’esprit de sa sœur, c’est pour essayer de faire son deuil. Si elle pense que sa mère et ses tantes sont des sorcières dont il faut se méfier, c’est parce que ses relations avec elles sont conflictuelles. Si elle compose des charmes et s’entoure d’objets magiques, c’est pour ériger un mur entre elle et les autres élèves de son pensionnat. 


Morwenna n’est donc - mais c’est déjà beaucoup - que le portrait d’une enfant solitaire qui finit par réaliser que d’autres personnes partagent ses goûts et ses passions. C’est en même temps une jolie peinture de l’adolescence, période de l’existence parfois douloureuse où l’on pense être le premier à ressentir émois et désillusions, crainte en l’avenir, sentiment de ne pouvoir se dépasser, tentation du suicide…


Un roman qui parlera donc aux passionnés de SF et qui démontrera aux autres que la magie existe bel et bien : il suffit d’ouvrir un livre, n’importe lequel, pour s’en convaincre ! 


Denoël - Lunes d'encre - 2014

CALL BOY - IRA ISHIDA

"J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie". J'ignore si Ishida Ira connait Paul Nizan et s’il a jamais lu « Aden Arabie » et son célèbre incipit. Ce qui est sûr en revanche, c’est que ces paroles, il les met presque à l’identique dans la bouche de son héros : « Vingt ans. Existe-il un âge plus désastreux que celui-là ? ».

Ryô a donc vingt ans et il traîne une mélancolie qui le coupe progressivement de ses semblables. Il ne met plus les pieds à l’université depuis belle lurette et se contente d’occuper ses soirées en travaillant comme barman.  Il n’a aucun projet, guère d’envies et semble blasé de tout et de tous. Une rencontre inattendue avec la directrice d’une agence d’escort boy va changer sa vie. 


En acceptant de se prostituer Ryô va multiplier les rencontres avec des femmes de tous âges et de toutes conditions. En leur compagnie, il va découvrir que la quête du plaisir peut prendre les aspects les plus divers et que ce que l’on nomme perversité ou déviance peuvent n’être que des chemins détournés pour accéder au bonheur. Il comprendra aussi que son spleen et son isolement proviennent de son incapacité à s’intégrer dans une société qui ne lui convient pas. Sa nouvelle profession, pour particulière qu’elle soit, va lui permettre d’échapper au moule qui lui était promis et de se créer son propre destin.


Jamais scabreux malgré la crudité de scènes très explicites, « Call-boy » est un roman maîtrisé de bout en bout. Loin de se limiter à une succession de rencontres tarifées - amusantes, surprenantes, dérangeantes - il nous montre comment le jeune homme s’affranchit des conventions pour se forger sa propre ligne de conduite. Chaque femme est une nouvelle leçon de vie, chaque contrat un palier qui lui ouvre de nouvelles perspectives.


Finalement, le seul reproche que j’adresserai à l’auteur est de donner une vision idyllique de la prostitution. Ryô enchaîne les belles rencontres. Il évolue dans un univers luxueux et policé et tire beaucoup de satisfaction de son travail. Il ne faudrait pourtant pas oublier que, pour la presque totalité de ceux qui la subisse, les choses sont loin d’être aussi agréables.


Picquier - 2017



DEMAIN LES CHIENS - CLIFFORD D. SIMAK

Soyons honnête, c'est uniquement sa réputation de classique de la SF qui m'a poussé à lire ce livre de Clifford D. Simak. Je m'étais jusqu'alors tenu à distance respectueuse de ce recueil de nouvelles dont le sujet - la disparition progressive de l'espèce humaine au profit de chiens devenus intelligents - ne m'emballait pas plus que ça. J'avais bien tort ! Outre que son propos s'avère finalement fort intéressant, les dix textes qui le composent abordent presque tous les grands thèmes de la SF. Robots, mutants, voyages interplanétaires et colonisation de nouveaux mondes, voyages dans le temps et dimensions parallèles, c'est quasiment l'histoire du genre qui défile sous nos yeux.

Cette pléthore de sujets permet à l'auteur de nous proposer de nombreuses pistes de réflexions sur des questions aussi diverses que le respect des autres espèces, la recherche de nouveau schémas de pensée, les règles de vie en communauté, l'intelligence artificielle... Il se contente toutefois d'ouvrir des portes, sans jamais avancer de solutions toutes faites. A l'instar de ses personnages qui doutent, tentent et échouent parfois, il n'a aucune certitude quant aux grands changements qui attendent l'humanité. Cela ne l'empêche pas de porter sur notre avenir un regard aiguisé ni d'avoir quelques jolies prémonitions comme par exemple le repli sur soi exacerbé par la technologie qui préfigure assez les changements induis par internet dans nos modes de vie.

Oeuvre simple et intelligente qui distraie autant qu'elle interroge, "Demain les chiens" est un recueil empreint de tristesse et de nostalgie. J'en retiendrais pourtant l'idée assez réconfortante que, quelques soient ses occupants, hommes, chiens, fourmis ou robots la Terre continuera d'abriter la vie.

J'ai Lu - 1977

L'ANGE AUX AILES DE LUMIERES - GILLES THOMAS

Comme dans Les voies d'Almagiel ou La croix des décastés, Gilles Thomas situe l'action de ce roman longtemps après ce qu'elle nomme La Grande Expansion, période qui vit la terre essaimer des colonies un peu partout à travers l'univers. Mais avec le temps, les liens avec la planète mère s'estompèrent et bien des mondes oubliés des terriens régressèrent à un stade primitif. 

Ce postulat lui permet de mettre en place des décors d'inspiration médiévale où elle peut donner libre cours à son penchant pour les histoires picaresques saupoudrées d'un rien de spéculation scientifique. De petits récits de science-fantasy forts simples, bourrés d'action mais toujours de grande qualité.

C'est encore le cas avec ce roman dont l'intrigue est rehaussée par la façon dont elle traite la psychologie de son héros. Celui-ci va en effet traverser des épreuves qui vont remettre en question ses certitudes d'homme civilisé et ses belles pensées humanistes. Au contact des idées rétrogrades du royaume d'Urriakan, des mœurs rudimentaires de la tribu d'Ikolaker ou de la cruauté de mise à la cour du baron Gresselk, Jason va éprouver des sentiments jusqu'alors inconnus : colère, haine, désir de vengeance. La précarité de sa position lui fera aussi comprendre que ses beaux principes de respect d'autrui et de non-violence ne pèsent pas lourds lorsqu'il s'agit d'assurer sa survie.

Une expérience qui lui permettra de plaider la cause de son propre monde lorsqu'il s'agira de faire comprendre à des êtres encore plus évolués que les terriens, que les hommes sont imparfaits par nature mais peuvent néanmoins s'amender et marcher sur le chemin de la sagesse. Mais Jason n'est pas le seul personnage digne d'intérêt et j'ai beaucoup apprécié celui de Valika Brunode, la libre-commerçante sans scrupules, maîtresse-femme qui entend rester libre de sa destinée.

Alors procurez-vous vite ce livre, ou n'importe quel autre de l'auteur, et vous plongerez dans deux cent pages de pur plaisir.

Fleuve Noir Anticipation - 1990

LES INDES NOIRES - JULES VERNE

James Starr est dubitatif. Il vient de recevoir coup sur coup deux missives. La première est signée du contremaître de la mine d'Aberfoyle dont il fut directeur, qui le presse de venir le rejoindre. La seconde, anonyme, lui enjoint au contraire de ne pas répondre à cette invitation.N'écoutant que sa curiosité il retrouve son ancien employé qui lui annonce avoir découvert un gisement qui permettrait peut-être de reprendre l'exploitation de la mine. Après quelques recherches leurs espoirs sont exaucés et l'extraction de la houille repart de plus belle.Mais des incidents étranges font suspecter la présence d'individus malintentionnés. Qui se cache dans les recoins inexplorés de Coal City? Y-a-t-il un rapport avec la lettre anonyme ?

Je me souviens que ce roman figurait au programme de ma classe de 4ème dans le cadre d'un thème consacré au travail dans les mines. J'avais pour ma part opté pour "Qu'elle était verte ma vallée" de Richard Llewellyn et ne l'avais pas regretté. Mais les exposés de mes petits camarades sur ce roman de Jules Verne m'avaient donné envie de le lire. Trente ans plus tard c'est chose faite ! Mais, si la promesse est tenue, le plaisir escompté ne fut pas au rendez-vous.

Cela démarrait pourtant bien. Un scientifique courageux, de fidèles compagnons, une plongée dans un univers sombre et mystérieux, tout concourrait à la production d'un Jules Verne de bonne facture. La mine et son dédale de galeries proposaient un décor propre à susciter le mystère tandis qu'une menace d'origine inconnue et l'apparition d'une étrange jeune femme fournissaient l'essentiel de l'intrigue.

Mais très vite celle-ci passe au second plan et l'ami Jules se contente de jouer les guides touristiques. Il célèbre les beautés de l'Écosse, son patrimoine culturel et ses paysages variés. Il discoure sur les patriotes écossais, encense l'œuvre de Walter Scott et nous abreuve de références historiques ou folkloriques. Cela devient vite lassant et ce n'est pas l'amourette entre Harry et Nell qui relève ce récit bien trop romanesque et contemplatif.

J'ai également été gêné par sa peinture idyllique du monde de la mine. Ses ouvriers ravis de leur sort m'ont paru quelque peu suspects et je n'ai pu m'empêcher de les comparer aux mineurs miséreux et révoltés de "Germinal". Certes Jules Verne ne fait pas dans le roman social. Mais pouvait-il ignorer que les conditions de travail dans les houillères britanniques n'étaient pas plus reluisantes que dans celles du nord de la France ? 

Alors oui, sa vision de cet univers souterrain donne lieu à quelques belles images dont Coal City, la ville érigée au fond de la mine, n'est pas la moindre. Oui le personnage de Nell, jeune femme née dans la mine et n'ayant jamais vu la lumière du jour, est attendrissant. Ça ne suffit pourtant pas à combler le vide laissé par une intrigue extrêmement légère.

Le Livre de Poche - 1976

MAJUNGA - STEPHANE DOREAU & GEOFFROY LARCHER

« Majunga » est la seconde BD du couple Doreau/Larcher qui, après l’univers fantasmé des« Trois visages de Tullula-Belle » nous livre cette fois un récit bien ancré dans le monde réel. Ce monde, c’est Madagascar, un pays que le dessinateur connait bien pour y passer une partie de son temps. Ses descriptions de la société malgache et des paysages qu’on y trouve sonnent donc particulièrement juste et sont pour beaucoup dans l’immersion du lecteur. 

Nous voici donc à Majunga, ville portuaire du nord de la Grande Ile, en compagnie de Joseph et Lova, deux orphelins qui rêvent d’un avenir doré. Le premier a bien envie de transformer en métier sa passion pour la cuisine. La seconde se contenterait volontiers d’une jolie villa avec piscine. Quelques années plus tard, la réalité les a rattrapés. Joseph est devenu Croque-mort et Lova exerce le plus vieux métier du monde… Cela ne les empêche pas d’affronter l’existence avec joie et optimisme. 


Et de l’optimisme, il leur en faudra pour faire face aux décès d’amis proches, aux magouilles d’un trio de notables et aux milles et unes petites misères de la vie quotidienne. Avec en toile de fond une histoire de vengeance plutôt originale, les auteurs abordent l’air de rien quantité de sujets : la corruption, la paternité, la prostitution et plus généralement les rapports hommes/femmes. Ils le font avec beaucoup d’humour et grâce à de jolies trouvailles dont les apparitions du défunt Père Manuel qui joue un peu le rôle de conscience de nos deux héros n’est pas la moindre.


L’histoire est portée par de forts jolis dessins qui nous font passer d’un hyperréalisme où l’on croit avoir affaire à des photos tout juste habillées de couleurs vives à des planches où les croquis sont plus esquissés et les portraits légèrement « déformés » pour accentuer tel ou tel trait de caractère des personnages. Mais dans l’un ou l’autre cas, les aquarelles de Doreau illustrent parfaitement l’ambiance chaude et lumineuse qui préside aux mésaventures de Joseph et Lova.


Mosquito - 2024

PAVANE - KEITH ROBERTS

Pavane est un parfait exemple de roman uchronique. C'est même l'un des textes fondateurs de ce genre particulier qui s'exprime au conditionnel et où tout commence par un si... Et si Elisabeth Ière avait été assassinée. Et si l'invincible Armada avait conquis l'Angleterre. Et si le monde était tombé sous le joug de l'église romaine. Voilà le postulat sur lequel est construit ce recueil de six longues nouvelles.

Les deux premières jouent un peu le rôle d'entrée en matière. Deux nouvelles fort jolies qui sont aussi deux portraits d'hommes amoureux de leur métier. Elles nous dévoilent l'Angleterre d'un XXème siècle alternatif où la science est restée figée. Le moteur à explosion, le téléphone et l'électricité sont encore dans les limbes et l'on circule toujours à bord de locomotives qui assurent l'essentiel du transport des marchandises. 

La "Lady Margaret" a justement pour héros John Strange, un conducteur de locomotive. Nous le suivons au cours d'une nuit bien remplie qui le verra déclarer sa flamme à la femme qu'il aime, retrouver un vieux compagnon et faire face à une attaque de brigands. Une histoire amère et douce qui se conclura néanmoins sur une note d'humour inattendue.

"Le signaleur" est beaucoup plus triste. Il s'agit d'un récit d'apprentissage. Le rêve devenu réalité d'un enfant qui espère intégrer la mystérieuse caste des signaleurs. Nous le suivons dans chaque étape de sa longue formation jusqu'à son premier poste dans un sémaphore isolé. Avec lui notre horizon s'élargit jusqu'à la lointaine Londinium et les châteaux de la noblesse. Elle se conclura néanmoins de façon tragique dans la lande de Durnovaria où l'on pressent que des forces obscures sont à l'œuvre.

Ce n'est donc qu'à partir de la troisième que l'on découvre le vrai visage de cette Angleterre sous la domination de Rome. Un pays où l'inquisition brûle, torture, soumet ou extermine ceux qui pensent différemment ou s'opposent à son autorité. Un royaume où le roi lui-même n'a que peu de pouvoirs face à une Église toute puissante qui couvre d'or ses cathédrales alors que le peuple crie famine. Le pauvre "Frère Jean" en fera l'amère expérience. Sommé par sa hiérarchie de prêter son concours à une session du Tribunal de l'inquisition, il va sortir profondément meurtri de cette épreuve. Dès lors, il n'aura de cesse de prêcher la révolte à travers le pays.

"Seigneurs et gentes dames" constitue une respiration. Elle fait aussi le lien entre la première et les trois dernières nouvelles qui ont toutes pour personnage principal un représentant de la famille Strange. Elle permet enfin de se rendre compte que les nantis ne sont pas forcément du côté de Rome et prennent même quelques libertés avec le dogme.

"Corfe Gate" est le morceau de choix du recueil. Le cadre géographique, temporel et politique est posé. L'affrontement peut désormais avoir lieu. Et si la victoire finale penche encore du côté de l'église, les fondements de son pouvoir en sortent passablement ébranlés. Là encore l'auteur dresse un très beau portrait, celui d'une femme attachée à sa terre et fidèle à ses idées envers et contre tous.

Enfin "Coda" est une courte nouvelle qui n'apporte pas grand-chose au recueil sinon de le conclure sur une note optimiste.

C'est peu dire que Keith Robert écrit bien. Ses textes sont d'une grande beauté et dotés d'une puissante force évocatrice. On est happé par la magie des mots et envoûté par les images qu'ils suscitent. L'envie nous prend alors d'aller nous promener du côté de Durnovaria, entre lande et falaises et d'y rencontrer quelques-unes des figures attachantes qu'il a brossées. Tout cela nous donne un livre superbe qui parle aussi bien d'amour (de sa famille, de sa région, de son métier) que de liberté et de dépassement de soi.

Livre de poche - SF - 1977

LES CROIX DE BOIS - ROLAND DORGELES

"Les croix de bois" fait partie de ces romans sur la première guerre mondiale écrits par des hommes qui l'ont vécu. Outre une véracité sans doute plus grande, ils sont en général plus intimistes que les textes plus récents et ne versent que rarement dans l'héroïsme grandiloquent, un peu comme s'il y avait une certaine réserve de leur part, une volonté de ne pas se mettre en avant alors que tant de leurs compagnons de combat ne sont plus là. 

Roland Dorgelès a écrit le sien en 1919, soit à peine un an après la fin de cette guerre qui l'a vu s'engager dès 1914 malgré une santé fragile. Il a combattu dans les tranchées, en Argonne et dans l'Artois, avant de prendre un peu de hauteur en rejoignant l’aviation. Son récit s'est donc nourrit de son expérience du combat. Les batailles dont il nous parle, il les a vécues. Les hommes dont il a fait les héros de son roman, il les a rencontrés. On ne trouvera pourtant dans son livre aucune référence de lieux ou de dates. Les spécialistes de la grande guerre reconnaîtront sûrement telle ou telle bataille, tel ou tel village dans les descriptions de l'auteur mais, pour les autres, c'est l'anonymat qui domine. On pourrait être en n'importe quel endroit du front et presque à n'importe quel moment. 


Il en va de même pour les personnages. Ils s’appellent Sulphart, Broucke, Belin, Demachy ou Bouilloux. Ils viennent du Nord, de Normandie, de Corse et de Paris. Ils sont paysans ou étudiants. Ils sont ses compagnons d'arme tout autant que le produit de son imagination. Ils sont tous les autres soldats, semblables et différents. L'auteur lui-même s'efface derrière le narrateur, un dénommé Jacques Larcher, sorte de double romanesque dont on devine à certains détails qu'il partage avec lui origine socio-professionnelle et bagage intellectuel. Un personnage qui participe aux évènements qu'il raconte mais qui n'est jamais mis en avant, se contentant de retranscrire les faits dont il est le témoin.


Son récit comporte finalement peu d'épisodes guerriers. Il semble préférer nous montrer ses compagnons dans tous les autres moments de leur vie de biffins. Une vie rude mais non dénuée de moments de gaieté et de franche camaraderie. Nous les côtoyons au feu ou à l'arrière, assistons aux corvées de soupe et à la distribution du courrier, à l'épouillage, à toutes ces menues tâches qui rythment leur quotidien entre de longues périodes d'attente : « Alors on se rassied, le dos au mur, et on attend. Faire la guerre n’est plus que cela : attendre. Attendre la relève, attendre les lettres, attendre la soupe, attendre le jour, attendre la mort… Et tout cela arrive, à son heure : il suffit d’attendre… ». Les scènes de combat sont donc peu nombreuses mais néanmoins suffisantes pour montrer toute l'horreur de cette guerre, les vagues de soldats montant à l'assaut et se brisant les unes après les autres, le pilonnage incessant des obus, les blessures, les mutilations bref toute l’absurdité d’un sacrifice aussi inhumain qu'inutile. 


Le dernier chapitre traite du retour à la vie civile de l'un des personnages. L’occasion de nous montrer un peu la vie loin des combats ainsi que le décalage qui s’est instauré entre ceux qui ont vécu la guerre dans leur chair et ceux pour qui elle demeure une menace encore lointaine. On y ressent aussi l’amertume de l’auteur qui pressent que ses concitoyens s’empresseront d’oublier tant de mauvais souvenirs même s’il faut pour cela oublier ceux qui ne rentreront jamais du front : « On oubliera. Les voiles du deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L’image du soldat disparu s’effacera lentement dans le cœur consolé de ceux qu’ils aimaient tant. Et tous les morts mourront pour la deuxième fois. ». Et c'est précisément pour éviter que ces hommes ne meurent à nouveau que Roland Dorgelès a écrit ce livre, Pour leur rendre hommage bien sûr mais surtout pour laisser une trace de leur passage, témoigner qu'ils ont vécu, rit, pleuré, souffert.


Le Livre de Poche

APRES NOUS LES OISEAUX - RAKEL HASLUND

Le thème du dernier homme - ou de la dernière femme - est un classique de la science-fiction post-apocalyptique. Qu’il s’agisse de flâneries dans un univers libérée des contraintes que l’homme lui faisait subir ou de considérations sur le devenir de l’espèce humaine, la fragilité des civilisations et autres réflexions du genre, tout ou presque a déjà été écrit. Rakel Haslund a donc dû se glisser dans un trou de souris pour nous livrer un récit original.


Une originalité qui tient tout entière dans la personnalité de son héroïne, une jeune adolescente de 12/13 ans qui a à peine connu le monde d’avant. Il n’y donc chez elle aucuns regrets devant l’inexorable fin qui guette l’oeuvre des hommes et encore moins de volonté de s’y opposer. A la différence de Am, la femme qui l’a élevée depuis le « Grand Incendie » et dont la disparition apporte une touche de mystère au récit, elle accepte tout naturellement sa nouvelle vie. Ce qu’elle découvre jour après jour, c’est un monde tout neuf et non les restes de l’ancien.


Certes, il en demeure d’importants vestiges parmi lesquels l’enfant trouve de quoi s’abriter, se vêtir, se nourrir. Mais ce qui attire son attention, ce ne sont pas les cratères, les ponts détruits ou les maisons inondées qui lui racontent la folie des hommes, ce sont les prémices de quelque chose d’autre, d’une voie nouvelle où l’humain n’a pas sa place. Désormais seule et presque sans souvenirs, elle entame une lente régression, un retour vers une forme d’animalité dont elle ressent la puissance renouvelée. 

L’homme a eu sa chance. Il l’a gâchée. Qu’il passe son tour ! La planète ne s’en portera pas plus mal.


 Robert Laffont - Science-Fiction/Fantasy - Pocket - 2024

CHUTE LIBRE - ALBERT & JEAN CREMIEUX

Cinq terriens sont kidnappés par des extra-terrestres et emmenés sur la planète 54 afin d'y être étudiés. Je ne suis pas certain que l...