Archives du blog

PAVANE - KEITH ROBERTS

Pavane est un parfait exemple de roman uchronique. C'est même l'un des textes fondateurs de ce genre particulier qui s'exprime au conditionnel et où tout commence par un si... Et si Elisabeth Ière avait été assassinée. Et si l'invincible Armada avait conquis l'Angleterre. Et si le monde était tombé sous le joug de l'église romaine. Voilà le postulat sur lequel est construit ce recueil de six longues nouvelles.

Les deux premières jouent un peu le rôle d'entrée en matière. Deux nouvelles fort jolies qui sont aussi deux portraits d'hommes amoureux de leur métier. Elles nous dévoilent l'Angleterre d'un XXème siècle alternatif où la science est restée figée. Le moteur à explosion, le téléphone et l'électricité sont encore dans les limbes et l'on circule toujours à bord de locomotives qui assurent l'essentiel du transport des marchandises. 

La "Lady Margaret" a justement pour héros John Strange, un conducteur de locomotive. Nous le suivons au cours d'une nuit bien remplie qui le verra déclarer sa flamme à la femme qu'il aime, retrouver un vieux compagnon et faire face à une attaque de brigands. Une histoire amère et douce qui se conclura néanmoins sur une note d'humour inattendue.

"Le signaleur" est beaucoup plus triste. Il s'agit d'un récit d'apprentissage. Le rêve devenu réalité d'un enfant qui espère intégrer la mystérieuse caste des signaleurs. Nous le suivons dans chaque étape de sa longue formation jusqu'à son premier poste dans un sémaphore isolé. Avec lui notre horizon s'élargit jusqu'à la lointaine Londinium et les châteaux de la noblesse. Elle se conclura néanmoins de façon tragique dans la lande de Durnovaria où l'on pressent que des forces obscures sont à l'œuvre.

Ce n'est donc qu'à partir de la troisième que l'on découvre le vrai visage de cette Angleterre sous la domination de Rome. Un pays où l'inquisition brûle, torture, soumet ou extermine ceux qui pensent différemment ou s'opposent à son autorité. Un royaume où le roi lui-même n'a que peu de pouvoirs face à une Église toute puissante qui couvre d'or ses cathédrales alors que le peuple crie famine. Le pauvre "Frère Jean" en fera l'amère expérience. Sommé par sa hiérarchie de prêter son concours à une session du Tribunal de l'inquisition, il va sortir profondément meurtri de cette épreuve. Dès lors, il n'aura de cesse de prêcher la révolte à travers le pays.

"Seigneurs et gentes dames" constitue une respiration. Elle fait aussi le lien entre la première et les trois dernières nouvelles qui ont toutes pour personnage principal un représentant de la famille Strange. Elle permet enfin de se rendre compte que les nantis ne sont pas forcément du côté de Rome et prennent même quelques libertés avec le dogme.

"Corfe Gate" est le morceau de choix du recueil. Le cadre géographique, temporel et politique est posé. L'affrontement peut désormais avoir lieu. Et si la victoire finale penche encore du côté de l'église, les fondements de son pouvoir en sortent passablement ébranlés. Là encore l'auteur dresse un très beau portrait, celui d'une femme attachée à sa terre et fidèle à ses idées envers et contre tous.

Enfin "Coda" est une courte nouvelle qui n'apporte pas grand-chose au recueil sinon de le conclure sur une note optimiste.

C'est peu dire que Keith Robert écrit bien. Ses textes sont d'une grande beauté et dotés d'une puissante force évocatrice. On est happé par la magie des mots et envoûté par les images qu'ils suscitent. L'envie nous prend alors d'aller nous promener du côté de Durnovaria, entre lande et falaises et d'y rencontrer quelques-unes des figures attachantes qu'il a brossées. Tout cela nous donne un livre superbe qui parle aussi bien d'amour (de sa famille, de sa région, de son métier) que de liberté et de dépassement de soi.

Livre de poche - SF - 1977

7 commentaires:

  1. Je n’ai jamais lu de Keith Roberts et suis un peu revenue aux nouvelles ces derniers temps. Un genre pas simple mais qui peut nous embarquer vite et loin, ce qui semble être le cas de Pavane, je note et ai hâte de le lire.

    RépondreSupprimer
  2. Ma première uchronie. Mon premier fix-up. Il y a maintenant longtemps. J'aurais pu tomber plus mal. S'en est suivie une appétence à la SF et aux uchronies en particulier. Quant à Keith Roberts, enthousiasmé par "Pavane" j'avais embrayé avec "Survol". La thématique est différente mais l'immersion post-apocalyptique est prégnante. Il y a aussi de l'auteur un "Molly Zero" que je n'ai jamais lu mais qui me tente. On semble y trouver une narration à la 2ème personne du singulier. c'est rare. Peut-être unique ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Effectivement, vous auriez pu tomber beaucoup plus mal. Au-delà du contenu, la plume de Roberts et particulièrement plaisante. Si vous aimez ses nouvelles, je vous conseille de lire "Le seigneur des moissons où vous trouverez, entre autres, une nouvelle qui se déroule dans le même univers que celui de "Pavane". Quant à "Molly zéro", je ne l'ai pas lu. Un jour peut-être...
      Au plaisir de vous revoir dans mon humble demeure virtuelle.

      Supprimer
  3. J'ai laissé trainer, avant de comprendre qu'il y avait nouvelle mouture du blog, un com sur la version 1 de SF Emoi. Elle se trouve sur "La porte des mondes" de Silverberg. Une autre uchronie...! Moins bonne que celle de Roberts mais qui peut aussi servir d'introduction au sous-genre SF en question.

    RépondreSupprimer
  4. J'adore aussi Silverberg. Et pas que ses uchronies.

    RépondreSupprimer

CHUTE LIBRE - ALBERT & JEAN CREMIEUX

Cinq terriens sont kidnappés par des extra-terrestres et emmenés sur la planète 54 afin d'y être étudiés. Je ne suis pas certain que l...